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Laurent Cazottes – Les eaux-de-vie de sa terre

Laurent Cazottes – Les eaux-de-vie de sa terre

Laurent Cazottes – Les eaux-de-vie de sa terre

Texte de Philippe Toinard

Il y a des enfants qui rêvent de devenir footballeur, spationaute, pilote de formule 1 ou d’avion de chasse et il y a Laurent Cazottes qui, très vite, a su qu’il deviendrait bouilleur ambulant puis distillateur et liquoriste dans son fief tarnais où il vit et travaille en communion avec son terroir.

Au bord de la rivière La Vère, une silhouette frêle se faufile entre deux poiriers et vient à la rencontre de Laurent Cazottes pour savoir qui, d’entre eux deux, va aller chercher le pain au village. Jean Cazottes, 87 ans, n’est pas homme à rester chez lui à faire des mots mêlés ou à regarder Des chiffres et des lettres à la télévision. Alors que le soleil tape déjà fort sur cette parcelle d’un hectare et demi, Jean plante des courgettes entre deux rangs d’arbres fruitiers et désherbe à la main les pieds des guigniers.

C’est à lui que l’on doit le début de l’aventure de la famille Cazottes dans l’univers des liqueurs et des eaux-de-vie. Avant Jean, une bonne dizaine de générations de paysans se sont succédé à Villeneuve-sur-Vère, petit village d’à peine 500 habitants, capitale de la truffe, coincé entre Carmaux, Albi, Cordes-sur-Ciel et Gaillac. Chez les Cazottes, fut un temps où l’on cultivait du blé, de l’orge et on élevait quelques vaches. Jean, à la tête d’une exploitation de 5 hectares environ, complétait ses revenus en tant qu’ouvrier agricole, notamment l’été, saison pendant laquelle il conduisait les moissonneuses-batteuses. De retour de la guerre d’Algérie, il proposait en hiver ses services de bouilleur ambulant dans la campagne tarnaise. L’histoire raconte qu’il a eu jusqu’à 9OO clients avec son alambic des années 1960, que Laurent continue d’utiliser aujourd’hui. A l’opposé de Jean et de son physique de demi de mêlée, Laurent en impose. Il aurait pu jouer au poste de 3ème ligne centre dans ce bastion rugbystique qu’est le Tarn. Né en 1975 sur les terres de Jean Jaurès, à Carmaux, il décide en 1998, à seulement 23 ans, après quatre années d’études en viti-oeno et en commerce à Mâcon et à Saint-Emilion, de prendre la suite de son père et de devenir à son tour bouilleur ambulant, avant d’obtenir un an plus tard, l’agrément de distillateur artisanal ce qui lui permet de produire pour et chez les autres, mais aussi de lancer sa propre gamme.

Au culot

Il est loin le temps où l’exploitation de Jean s’étendait sur seulement 5 hectares. Au fil des ans, Laurent a accumulé les parcelles pour être aujourd’hui à la tête d’un domaine agricole de 17 hectares – sur un terroir argilo-calcaire sur le plateau cordais – répartis en vignes (4 hectares), vergers (3 hectares), bois (1 hectare) et, en assolement, petit épeautre (5 hectares) et tournesol (4 hectares). Le tout converti en bio en 2000, certifié en 2003 par Nature et Progrès. Très vite, Laurent comprend qu’il lui faut se distinguer des autres distillateurs en proposant des liqueurs et eaux-de-vie 100% maison, c’est-à-dire que l’eau-de-vie de vin soit issue des vignes du domaine, que les fruits aient poussé sur ses parcelles et que le tout soit distillé sur l’exploitation. Ce qui est rarement le cas dans ce secteur dominé par les industriels. Mais surtout, Laurent se demande s’il ne peut pas produire des eaux-de-vie et des liqueurs plus aromatiques. Lui vient l’idée pour son eau-de-vie de poires williams d’équeuter, d’épépiner et de retirer le calice de tous les fruits… à la main : « Ce que je voulais, c’est obtenir une eau-de-vie sur le fruit. Or la queue apporte un goût herbacé, les pépins, de l’huile et, le calice, du végétal. En débarrassant chaque poire de ces trois éléments, je ne conservais que le goût du fruit en calquant ce principe sur ce que les vignerons font en éraflant les raisins. » Mais dans le monde du vin, il y a des érafloirs. Mission impossible avec des poires. Et c’est manuellement, depuis vingt ans, que les employés et les saisonniers du domaine se coltinent environ 300 000 poires soit l’équivalent de 25 tonnes.

Au culot, quelques bouteilles sous le coude, totalement inconnu dans le milieu, Laurent « monte » à Paris en 2000 pour présenter et faire goûter sa poire. Le premier à le recevoir est David Ridgway, le sommelier de La Tour d’argent puis Patrick Tamisier au Grand Véfour. Les deux premières commandes tombent après dégustation. Il se dit alors que si ces immenses professionnels adhèrent à sa démarche, il faut continuer à se démarquer avec les autres fruits. Il poursuit sa réflexion avec la reine-claude dorée plantée en 2000 – l’une des plus anciennes variétés de prunes implantée dans le Sud-Ouest – et décide de retirer les noyaux et les queues des 470 000 prunes, toujours manuellement. Pour lui, cette eau-de-vie a généralement un goût d’amande trop prononcé dû au noyau. Certains sommeliers légèrement perturbés par le résultat s’aventurent à lui glisser que ce ne serait quand même pas si mal s’il conservait quelques noyaux. Laurent reste impassible. Son eau-de-vie de reine-claude dorée se fera sans noyaux et sans queues et les sommeliers passeront finalement commande. Rebelote avec les fleurs de sureau noir qu’il fait émonder – seuls les pétales sont conservés – pour produire un apéritif de macération et pour les 200 et 300 kilos de guignes et de guins. Noyaux et queues partent au compost pendant que les fruits sont mis en macération entre douze et quatorze mois dans l’eau-de-vie maison pour donner naissance à une liqueur.

La vigne, élément indispensable

Sans vouloir passer pour un donneur de leçons, Laurent considère que, produire des eaux-de-vie et des liqueurs artisanales, c’est s’approprier son terroir dans sa globalité, sa verticalité comme il aime à le dire : « Certains confrères possèdent l’alcool, mais pas les fruits. D’autres ont les fruits, mais achètent l’alcool. Il leur manque forcément une partie de leur histoire. Pour se démarquer, il faut impérativement planter, de la vigne et des vergers. Distillateur, c’est aussi être arboriculteur et vigneron. » De la vigne, le domaine n’en manque pas à commencer par l’historique, sa vieille vigne, comme Laurent la surnomme, celle de son père, un demi-hectare de jurançon noir orienté sud-est, issu d’un croisement entre le côt et la folle blanche, qui n’a rien à voir avec le vignoble de jurançon dominé par le gros manseng et le petit manseng. A ce jurançon noir s’ajoute 1 hectare de prunelart, un cépage ancien probablement tarnais que des études récentes considéreraient comme le « parent » du malbec avec la magdeleine noire. Enfin, aussi curieux que le prunelart et le jurançon noir, 2,4 hectares de mauzac rose. Une goutte d’eau dans un océan de mauzac vert ou blanc propre au vignoble de Gaillac. Depuis peu, une nouvelle parcelle, achetée au voisin, est venue se greffer au domaine. S’y côtoient du duras, du mauzac blanc, du jurançon noir, du loin de l’œil et de l’alicante que Laurent utilise pour créer, en assemblage, son eau-de-vie vinique alors que les vignes familiales permettent de produire de l’eau-de-vie de vin, de l’eau-de-vie de raison et 5 cuvées qu’il ne met en bouteilles que depuis 2010 :

  • Adèle (vin blanc sec issu de mauzac rose).
  • Rackham (vin rouge de jurançon noir).
  • D’Ici (vin blanc doux).
  • Prunelart (vin rouge).
  • Mauzac rose (vin orange de macération de cinq mois en amphores de 370 litres).

De l’eau-de-vie maison, Laurent en a besoin. Des milliers de litres pour produire notamment ses liqueurs de prunelles, de tomates, de coings sauvages et de guignes obtenues par macération. Il s’en désole, mais il n’a pas le choix : « Je suis obligé de faire macérer les fruits dans ces fûts alimentaires en plastiques bleu ou noir. C’est moche et pas très écologique, mais je n’ai pas trouvé d’autres solutions. Les fûts de bois ça ne fonctionne pas et les amphores non plus. » Ces fûts doivent subir des chocs thermiques. Gavés de fruits ç hauteur d’eau-de-vie, ils sont stockés dehors subissant les assauts des rayons du soleil et le froid des nuits et des petits matins tarnais. Après quatorze mois, le liquide est filtré et les fruits pressés pour donner naissance à un marc qui sera alors distillé. L’eau-de-vie obtenue sera enfin ajoutée à la liqueur : « Pour beaucoup de consommateurs, liqueurs sous-entend sucre. J’en mets un peu évidemment, mais comme je cherche la quintessence du fruit, je l’obtiens par la longue macération et par l’ajout d’eau-de-vie ce qui me permet de proposer des liqueurs à 18% vol., mais sans cette impression de sucre. Ce qui domine, c’est la fraîcheur. » A quelques mètres des fûts, l’alambic de marque Stupfler et sa chaudière de 1964, le tout retapé au fil des années. Il en a vu passer des vapeurs d’alcool et il en verra encore tant qu’il sera en état des sortir des eaux-de-vie de pommes issues des 13 variétés du domaine, de poire williams, de mauzac rose, de reine-claude dorée, de petit épeautre et de prunelart qui toutes, affichent 45% vol.

Au grenier d’un autre bâtiment, des dames-jeannes remplies d’eau-de-vie subissent aussi les écarts de température entre la chaleur sous le toit de tôle et les nuits fraîches : « Ce sont les écarts qui font le vieillissement et aussi l’oxydation. C’est pour cette raison que dans une dame-jeanne de 20 litres, je n’en verse que 18 », précise le distillateur. L’œil est alors attiré par une inscription : « la perpétuelle de poires ». Le principe, assembler 10% du dernier millésime avec 90% d’anciens millésimes, un peu comme une solera, et patienter, alors qu’une eau-de-vie de poire millésimée, c’est 10% d’anciens millésimes avec 90% de l’actuel. A côté, d’autres inscriptions interrogent avec des noms de vignerons qui ne nous sont pas inconnus, – Gramenon, Bain, Jousset, L’Anglore – et Laurent de raconter : « Je travaille aussi de cette façon. Des vignerons qui me sont proches me confient leur marc de raisin et je distille pour eux entre octobre et mars en même temps que mes propres distillations. »
La tomate, sa nouvelle marotte

Distillerie Cazottes | Découvrir Carmaux et le Ségala tarnais
Tout est bon chez Cazottes, mais s’il est une création qui ne laisse personne indifférent, c’est sa liqueur de tomates à boire frais, c’est-à-dire à la température de réfrigérateur. L’idée lui est venue en 2014 en se penchant sur la question de la complexité à travers les années. Pour les alcools vieillis en fûts, comme la calvados, le cognac ou l’armagnac, pour ne citer qu’eux, la complexité se forge entres autres au contact du bois selon son âge, son essence, mais aussi du temps passé dans le contenant et le volume de ce dernier. Comment faire de même avec les fruits ? Et si la solution venait de la diversité des variétés ? Et quel fruit, en dehors du raisin, possède des centaines de variétés ? La tomate ! Laurent a donc, dans un premier temps, fait pousser 2 plants de 48 variétés différentes et obtenu sa première liqueur, millésime 2014. Au fil des années, il a multiplié les variétés et est parti en quête de semences, notamment chez Kokopelli : « Je suis devenu un traqueur de graines de tomates. » Le souci avec la tomate, c’est qu’après la récolte, il faut arracher et tout recommencer, préparer les semis maison à partir des graines des tomates et replanter l’année suivante, 2 plants par variété pour une production totale de 2 tonnes, récoltées en été pour les premières, en automne pour les dernières. Quelques millésimes plus tard, il en était à 72 variétés puis 130 en 2018, puis 154 et, enfin, 205 en 2021 plantées en permaculture au milieu des pieds de réglisse, de livèche, de sarriette, de lavande, d’estragon, de framboises et de menthe-coq. La liqueur est effectivement de plus en plus complexe quand on se prête à une dégustation verticale d’autant que Laurent est resté fidèle à sa marque de fabrique, équeuter pour écarter ce côté végétal et tailler en quartiers avant la macération. Il ne faudra pas s’étonner si les collectionneurs cherchent à obtenir une bouteille de chaque millésime pour les comparer tout en sachant que cette liqueur ne se boit pas forcément en fin de repas. Elle peut surprendre plus d’un gourmet sur un poisson, une salade ou en accompagnement d’une tapenade ou d’un morceau de parmesan.

Article tiré du magazine « 180°C des raisins et des hommes » millésime 2021

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